vendredi 23 avril 2010

BUTTUI

17 mars – 18 avril 2010

Le lundi 15 mars, nous quittons Padang et embarquons avec Agus dans un gros bateau en bois aux abords peu rassurants! Mais c'est sans problème qu'après une nuit d'environ 12h, à même le sol de la cale parmi les marchandises, les passagers endormis et les cafards, dans des odeurs de gasoil, de fruits légumes et sueur, nous arrivons sur l'île de Siberut dans l'archipel Mentawai.



Nous accostons à Muara Siberut, la ville principale de l'île, passons rapidement nous déclarer à la police et le lendemain, après une nuit chez un ami d'Agus, nous embarquons à nouveau pour la deuxième partie du voyage: 5h de pongpong (petite pirogue à moteur) à remonter une rivière qui s'enfonce peu à peu dans la jungle, se frayant un passage entre les cocotiers et autres arbres et plantes équatoriales.
Nous arrivons à Madobag, petit village / grande ville du centre de l'île. Après avoir essuyé quelques gouttes de pluie et refait le plein d'énergie au tout petit magasin, nous enfilons nos bottes toutes neuves et nos sacs à dos trop lourds, et repartons pour la 3ème et dernière partie du voyage: 1h de marche dans la jungle.


Très vite, la route de béton toute neuve s'arrête et nous nous enfonçons dans la forêt, suivant des chemins de boue créés par d'anciens et nombreux pas. Les sacs pèsent lourd, la boue monte presque jusqu'aux genoux, les passages sur des rondins au dessus des courts d'eau sont périlleux, les traversées de rivières ont raison de nos bottes,... nous sommes au cœur de l'effort, là où se trouve la vraie Aventure!
Et soudain, au bout d'un chemin de troncs d'arbres mis bout à bout, cachée par la forêt, une grande maison en bois se dresse sur pilotis.


Juste une grande pièce en continu qu'on peut séparer en différentes parties de par leurs fonctions mais pas de réelles cloisons. Pas de porte, pas de fenêtre, juste un sol de planches, des piliers, des poutres, quelques parcelles de murs là où ce n'est pas ouvert sur l'extérieur, et un grand toit de feuilles. Un panneau solaire sur le toit et 4 néons à l'intérieur éclairent faiblement les nuits profondes.



Nous sommes arrivés dans la famille de Tuka à Buttui (nom de la rivière).
Dans la famille 16 personnes: Teteu la grand-mère avec 4 de ses enfants: 2 hommes (Tuka et Gatti), leurs femmes et 3 enfants respectifs, 2 filles célibataires, une nièce adolescente hébergée là depuis toute petite, et 2 amis, jeunes profs de la petite école du coin. Il y a aussi 3 chats, 3 chiens, des poules et des cochons qui vont et viennent en liberté.


Ces gens que nous découvrons le premier jour nous ont tout de suite adoptés, et ils sont devenus au fil du quotidien une vraie famille pour nous. Nous avons même reçu de nouveaux noms et nous sommes connus là-bas sous les noms de Kitdi pour Anaël (une fleur), et Bilijo pour Timothée (fleur de bananier).
Ils font partie, comme tous les habitants de l'île, de la tribu des Mentawai. Peuple retiré de toute civilisation, vivant paisiblement en harmonie avec la nature.
Ils vivent en quasi-autarcie se procurant eux-même dans la nature de quoi manger et construire une maison. De temps en temps ils peuvent vendre quelques graines de cacao et quelques bananes à Muara Siberut ce qui leur permet de récolter un peu d'argent pour acheter de l'essence pour les tronçonneuses et le moteur du bateau.
Chrétiens plus de nom que de foi (héritage de la colonisation encore récente des hollandais), ils vivent au rythme de leurs besoins, en toute sérénité, sans dogme et sans contraintes, travaillant dur lorsqu'il le faut, et prenant le temps de rire, de discuter et de passer du bon temps avec amis et famille toutes générations confondues.
Étonnamment, étant dans le lieu le plus éloigné de la société dans lequel nous avons été, nous ne faisons face à aucune barrière culturelle avec ce peuple très ouvert, très libre, avec un bon sens de l'humour. Et le dialogue n'a aucun mal à se faire malgré les quelques mots d'anglais de certains et nos pauvres mots mentawai.

Nous sommes tout de suite intégré dans leur quotidien, et lorsque Agus repart 5 jours après notre arrivée, nous nous imprégnons pleinement de leur mode de vie idéal.

Le Quotidien

Rester un mois dans un seul lieu et plus particulièrement au sein de la même famille nous a permis de nous fondre dans leur rythme de vie et de vivre un vrai quotidien.
Ici ils ont presque tous une montre mais aucune n'indique la même heure. Nous n'avons donc jamais su en un mois exactement l'heure qu'il était. Mais ça n'a pas d'importance.
Le matin nous nous réveillons avec les chants des coq et les planches qui tremblent sous les pas des enfants qui courent. Nous petit déjeunons d'un thé et de sagu (explication plus bas). Pas de salle de bain,de toilettes ou d'eau courante, tout se fait dans la nature et la rivière sert de douche, de lave vaisselle et de lave linge.


Nous partons ensuite travailler ou effectuer diverses activités qui sont fonction du temps.
La température est idéale grâce aux arbres. Jamais trop chaud et jamais froid. Par contre il fait très humide, il pleut quasiment tous les jours, au moins une petite averse.
Les jours de pluie continue, nous restons à la maison à jouer avec les enfants, discuter avec les grands, dessiner, faire des colliers... Le travail qui n'est pas fait les jours de pluie sera fait un autre jour, rien ne presse car il sera fait de toute façon.




Nous mangeons selon le même principe, jamais à heures régulières, parfois 2, parfois 5 fois par jour, chacun cuisine lorsqu'il en a envie et mange lorsqu'il a faim, mais tout est toujours fait pour tout le monde et les repas sont fait ensemble, à même le sol, avec les chiens et les chats à l'affut des morceaux tombés par terre.




Pour cuisiner, un foyer au milieu de la pièce principale avec trois pierres abritant un feu de bois. Dans la pièce attenante, deux foyers servant à la cuisson du sagu (l'explication arrive bientôt!).
Parfois nous parcourons à trois ou quatre, l'heure de marche qui nous sépare de Madobag ou nous faisons dans le tout petit magasin le plein de provisions comme du riz, des oeufs, de l'huile, du thé, du sucre... et surtout, surtout des cigarettes car ils sont tous de grands fumeurs à partir de 14 ans!



Buttui étant dépourvu de tout signal satellite, nous n'avons aucun moyen de communication. Pas d'internet, pas de téléphone et pas de poste. Nos virées à Madobag nous permettent de temps en temps d'avoir un peu de réseau et peut-être d'envoyer un sms!
Nous faisons aussi office de docteur et sommes fiers de pouvoir dire que nous avons soigné en 3 semaines une grosse et vieille blessure infectée au pied de Lili (une des filles de la famille) exclusivement à l'eau oxygénée et au calendula! Parfois, des gens viennent de plus loin pour se faire soigner des coupures ou infections quelconques.
L'après-midi nous continuons nos travaux ou nos activités et le soir tout le monde se retrouve dans le « salon », assis par terre ou sur les bancs qui encerclent la pièce, pour parler, chanter, jouer de la guitare, jouer aux domino ou aux cartes.



Il y a toujours du monde en plus, amis ou famille, venant des maisons plus ou moins lointaines. Lorsqu'il est trop tard le soir pour rentrer chez eux, ils restent dormir à la maison. L'ambiance est à la rigolade et la barrière linguistique ne nous empêche pas de beaucoup rire et d'avoir de grandes conversations mélangeant leur questionnement sur la France et le notre sur les Mentawai.
A l'occasion de ces soirées, nous avons eu la chance d'entendre 4 contes. 3 par Tuka et un par Teteu la grand-mère. Étant en mentawai, nous ne pouvons pas les comprendre tout de suite mais ils sont enregistrés et en cours de traduction vers l'indonésien ce qui nous sera plus facile à passer en français.
A notre tour, à leur grande joie, nous leur montrons 3 fois des films américains doublés en français sur notre tout petit ordinateur de voyage. Le son est couvert par les bruits de la jungle et l'image trop petite pour 18 paires d'yeux (voire plus lorsque les voisins viennent), mais ils sont impressionnés et très amusés de voir toutes ces choses qu'ils ne connaissent et ne comprennent pas!


Chacun se couche lorsqu'il est fatigué qu'il soit tôt ou tard.
Pour dormir, plusieurs moustiquaires sont tendues un peu partout dans la maison et nous avons même le luxe d'avoir de petits matelas!


La nuit n'est ni fraiche ni chaude et nous sommes bercés par les milliers de bruits des insectes de la forêt.

Le Sagu

Le sagu est un arbre que notre œil inexpérimenté d'occidentaux définirait au premier abord comme un quelconque palmier, se différenciant du cocotier par des feuilles montantes et une absence de fruit. Cet arbre est la ressource principale des Mentawai qui l'exploitent sous toutes ses formes.
Le sagu sert avant tout de nourriture. Son tronc très mou et sa chair grasse et fibreuse est réduit en poudre à l'aide de grattoirs ou, comme c'est le cas chez nous, à l'aide d'une broyeuse à moteur.


Une fois en poudre, ou sciure blanche rose, il est mixé avec de l'eau et malaxé au pied dans de grands tamis laissant filtré ce qui en apparence semble n'être que de l'eau blanche. Il est malaxé au maximum jusqu'à ce que l'eau qui en sort soit presque claire. La sciure est alors rejetée pour ne garder que l'eau. Au fond de l'eau, un dépôt d'une sorte de boue / poudre blanche s'est formé. Encore mouillé il est très lourd et se dissout très vite. Tout le dépôt est récupéré et mis dans des paniers de feuilles conservés dans l'eau jusqu'à l'étape suivante.


Ramené à la maison et une fois presque sec, le sagu a une consistance de gros blocs de farine grasse, fine et douce. Les femmes se rassemblent près des foyers et travaillent à la confection du sagu à manger. Les blocs de farine sont passé au tamis pour en faire de la poudre fine qui est ensuite répartie en barres et enroulée dans des feuilles de sagu.



Après avoir été chauffés au dessus du feu, nous pouvons les déballer et la farine est figée en barre craquante à l'extérieur et un peu élastique à l'intérieur. Le sagu a un goût neutre et peut être mixés parfois avec de la noix de coco râpée et du sucre. Il est parfois cuit aussi à l'intérieur de petits bambous ce qui lui donne une toute autre consistance plus humide et élastique.
L'intérieur du tronc sert aussi de nourriture pour les animaux domestiques. Brut pour les cochons et râpé pour les poules.
Les feuilles du sagu ont plusieurs utilités. Les petites servent donc à l'emballage du sagu à manger. Les grandes servent à la confection des paniers dans lesquels le dépôt blanc est stocké. Elles servent aussi à la fabrication des toits de maison. Pour cela elles sont pliées autour d'une grande lamelle de bambou et tissées les unes sur les autres à l'aide d'un fil de liane. Toutes les « tuiles » sont alors empilées pour créer un toit solide et très étanche. N'étant cependant pas éternel, il est renouvelé régulièrement.

Le Travail

Tous les jours nous participons aux travaux, activités et taches ménagères.
Lorsque nous partons travailler à l'extérieur nous accompagnons Tuka, Gatti ou les autres dans la jungle, au bout de sentiers boueux.
Nous aidons au tri des feuilles de sagu que Tuka a coupé en haut d'arbres d'une vingtaine de mètres de haut.




Nous allons récolter ou cueillir diverses racines, feuilles, plantes comestibles, nous allons planter des pousses de bananier, récolter des bananes... Parfois nous ne pouvons qu'assister au travail car il nécessite plus de savoir faire, comme la taille de planches à la tronçonneuse.



Avec les filles nous partons aussi à la pêche dans la rivière à l'aide de filets et de perches servant à chasser les poissons vers le filet. La récolte est maigre et se constitue de touts petits poissons, de petits crabes et crevettes mais cela fait de temps en temps un agréable casse croute!



En intérieur nous participons à la confection de la nouvelle maison en tissant les « tuiles » pour le toit. Au bout d'un mois nous pouvons sans problème les faire sans aide!


A la maison nous participons à la cuisine, la vaisselle, le ménage, l'emballage du sagu... bref, tout simplement nous faisons partie de la famille et aidons au travail comme tout le monde, dans la bonne humeur et avec un immense plaisir de s'adonner à des taches concrètes en lien direct avec la nature et essentielles au bon fonctionnement d'une maison.




La Nourriture

Les Mentawai ont l'immense chance d'avoir toute la nourriture nécessaire à portée de main dans la forêt et bien qu'il soit très difficile de se procurer de l'argent, se nourrir n'a jamais été un problème pour eux.
La base alimentaire de tous les repas Mentawai est le sagu. Nous le mangeons nature, trempé dans le thé, accompagné de fougères ou autres plantes bouillies et salées, trempé dans le jus de cochon bouilli...


Il n'y a pas de rizière sur l'île mais nous mangeons du riz lorsque nous en rapportons de Madobag. Nous accompagnons le riz des mêmes plantes en bouillon ou nous le faisons frire.

Nous mangeons aussi souvent de la viande car à chaque occasion particulière un cochon et/ou un poulet est tué. Nous avons donc assisté plusieurs fois à l'égorgement du cochon, toujours précédé d'une petite prière, puis à sa découpe et sa cuisson. Au bout du 5ème cochon, plus aucune émotion en voyant le couteau trancher la gorge et le cochon pousser des hurlements presque humains.




Dans le cochon tout est bon! Tout est bouilli et nous mangeons même le gras et la peau. Il est conservé longtemps séché puis rebouilli à chaque repas.
De temps en temps, en dehors des repas plus consistants, nous mangeons des chips de bananes ou de taro (grosse racine proche du tapioca). Le taro nous le mangeons aussi en soupe ou en purée roulée dans de la noix de coco râpée.


Pour toutes les soupes, les plantes ne sont pas bouillies dans l'eau simple mais dans le jus extraits de la chair de noix de coco. Cela donne un goût légèrement sucré et très bon.
N'oublions pas que nous sommes au milieu de la jungle équatoriale et que la nourriture exotique en est indissociable! Nous avons donc mangé à plusieurs reprises, tenez vous bien, des grosses larves blanches prises dans l'écorce des sagu. Ces larves nous les avons mangées crues vivantes, bouillies dans leur jus et grillées en brochettes. Elles ne sont pas mauvaises, un peu gluantes avec un léger goût de noix de coco!


On a pu également goûter des insectes non identifiés accompagnés de leurs nombreux œufs. Étrangement très sucrés!
De la grenouille et des têtards bouillis, et des petits crabes crus vivants.
Un soir il y a eu plein de gros insectes entre fourmi volante et papillon de nuit autour du néon. Tout le monde s'est levé pour les attraper au vol et les manger! Bien sûr nous avons goûté! Un peu amer et les ailes restent collées dans la gorge mais pas mauvais!
Bref nous avons eu une nourriture variée et très bonne pendant tout ce mois!

Les Occasions Particulières

Durant un mois nous avons eu l'incroyable chance de vivre des expériences exceptionnelles.

Comme partout où nous sommes allés depuis le début du voyage, nous avons à faire à une école. Ici la toute petite école de Buttui comprend deux petites sales, deux jeunes professeurs de Muara Siberut et des élèves dont le nombre varie entre 2 et 25 selon les jours.




Vivant avec les deux profs et 3 des élèves nous avons bien sûr été invité à assister à une matinée de cours où les élèves étudient assidument l'indonésien, les maths, la science et chantent en chœur des chants Mentawai.
Les Mentawai étant donc chrétien, le dimanche 4 avril nous avons fêté Pâques à l'école.



Pour l'occasion nous l'avions décorée la veille avec les élèves et le dimanche soir, après avoir tué et mangé le cochon, toutes les familles des alentours sont venues assister aux chants, danses, sketches faits par les élèves, puis par un peu tout le monde qui le souhaitait.


Tim et moi avons chanté une chanson en canon puis Tim m'a accompagné à la guimbarde pendant que je jonglais avec des pierres. La fête a duré toute la nuit. Ceux qui le souhaitaient sont rentré dormir d'autres ont dormi sur place et beaucoup ont continué à chanter, jouer de la guitare, jouer au foot... jusqu'au lever du soleil. Les Mentawai ont le sens de la fête et dès qu'une occasion se présente c'est toujours une bonne raison de bien s'amuser, de bien manger et de passer de bons moments!

Autre exception d'un autre ordre, la maladie de Reni, garçon de Gatti. Nous n'avons pas su exactement de quoi il s'agissait mais il a été soudain très malade. Il était brûlant et transpirant. Notre thermomètre indiquait 39,8° et le petit n'a que 5 ans. Nos compétences en médecine sont impuissantes sur ce cas, mais nous parvenons à faire baisser un peu la fièvre avec une mixture de banane et une toute petite dose de paracétamol. Mais rien n'a faire, le lendemain il est toujours aussi mal et nous craignons qu'il soit au bord de la mort.
Ayant conscience du danger d'une fièvre aussi haute, Gatti a alors recours à la médecine traditionnelle. Le soir, deux chamanes voisins sont venus. À tous les trois (Gatti étant lui-même aussi chamane), ils ont confectionné une potion faite de plantes et d'eau de la rivière.


On a tué un cochon et un poulet qu'on a mangé. Ils se sont habillés en tenue traditionnelle et ils ont chanté, prié, effectué divers rituels et incantations avec des plantes et des cloches, pour faire sortir les mauvais esprits du corps de Reni qui est toujours aussi souffrant.


Nous regardons impressionnés tous ces rituels.
La nuit tombe et tout le monde va se coucher mais eux continuent toute la nuit à chanter jusqu'à l'aube.


Le matin quand nous nous réveillons nous assistons à un miracle: Reni est debout, il rigole et joue aux domino. Nous sommes ébahis et émus. Nous avons été témoins d'une vraie présence de magie et tous nos précédents doutes concernant certaines pratiques médicales alternatives ont désormais disparus.

Encore autre expérience exceptionnelle. Un jour, Tuka nous propose d'aller loin dans la jungle pour aller chasser le singe. Ce jour-là il pleut par intermittence et nous repoussons notre départ jusqu'en fin d'après-midi. Nous comprenons juste avant de partir qu'il nous faut embarquer nos moustiquaires car nous allons passer la nuit dans la jungle. Nous partons donc à 4, avec Teteu la grand-mère et Kakui une des filles de la famille. Les bottes aux pieds et petits sacs aux dos, nous remontons la rivière jusqu'à ce que les arbres deviennent de plus en plus denses.
Il commence à faire sombre, de gros nuages se lèvent et une pluie diluvienne se met à tomber. Nous continuons notre marche, imperturbables. Puis, au milieu de rien, nous nous arrêtons. Teteu semble perdue, elle nous laisse au bord de la rivière, abrités sous des feuilles de bananier, et part en reconnaissance avec Kakui. Il pleut toujours aussi fort, la rivière monte, et les sangsues sucent le sang. Teteu et Kakui ne reviennent pas, nous attendons.
La pluie se calme et nous remarquons qu'elles sont juste à côté et qu'elles construisent un abris fait de branches, de feuilles de bananier et autres palmiers.


Le petit toit terminé elles repartent chercher du bois ou autres plantes utiles à la confection d'un petit foyer. Ne sachant pas trop comment aider nous prenons en charge la décoration de notre maison de fortune, chose complètement inutile mais qui les fait bien rire à leur retour!
La pluie a cessé, le feu est allumé, la nuit est tombée. Tuka et Gatti arrivent, chacun avec un fusil, et après avoir mangé quelques sagu nous nous installons pour la nuit.



Le toit est petit, nous sommes 6 et nous n'avons que deux moustiquaires dont une pour Tuka seul qui n'est pas complètement recouvert par le toit. Nous sommes serrés à 5 sous une moustiquaire. Les feuilles de palmier qui nous servent de sol ont une tige bien dure et bien épaisse qui se retrouve dans notre dos. Difficile de trouver une bonne position entre la tige et les deux voisins. Un orage lointain se fait entendre, les éclairs zèbrent le ciel, les insectes de la jungle chantent à tue tête et la pluie se met à tomber. Notre toit n'est pas entièrement étanche et nos pieds ne sont pas recouverts. Nous parvenons néanmoins à dormir un peu en oubliant les gouttes qui s'écrasent de temps en temps sur notre visage et en trouvant des compromis avec la tige de palmier.
Au petit matin, tous courbatus, nous remballons nos affaires et partons dans la jungle avec Tuka et Gatti, laissant Teteu et Kakui rentrer à la maison.
Nous montons dans les hauteurs, il n'y a presque pas de chemin, on escalade les racines, on se baisse sous les branches. Tuka et Gatti avancent rapidement avec agilité, pieds nus, en silence. Nous faisons de notre mieux pour ne pas faire de bruit tout en suivant leur rythme.
Soudain ils s'arrêtent, nous font signe de ne plus bouger. Ils ont aperçu un singe. Ils nous laissent là avec pour ordre de ne faire aucun bruit et partent un peu plus loin pour l'avoir à portée de fusil.


Mais ils reviennent sans rien, il était trop loin.
Nous repartons, nous passons dans des endroits magnifiques où le soleil du matin perce à travers les hautes branches faisant scintiller les gouttes d'eau tombant des arbres et les toiles d'araignées en rosée. La jungle a cet aspect magique et envoûtant qui nous fait oublier tout le reste.
Après quelques tirs ratés sur des oiseaux lointains, nous rentrons à la maison. Bredouilles, exténués, sales et courbatus mais le sourire aux lèvres et heureux d'avoir vécu cette incroyable expérience.

Enfin, dernière mais pas des moindre expérience exceptionnelle, l'inauguration de la nouvelle maison de Salomo et Bajalamati sa femme et soeur de Tuka, Gatti, Lili et Kakui.

La cérémonie d'inauguration se fait en deux jours. Un premier jour, juste l'après-midi où l'on tue un cochon avec quelques incantations, et un deuxième jour plus important où nous avons vécu ce qui a été probablement le moment le plus fort de notre séjour, et même de notre voyage.
Nous arrivons chez Salomo le matin vers 9h. Toute la famille est là, beaucoup de monde de maisons alentour. La cérémonie commence. Tout le monde est décoré de fleurs, feuilles, colliers. Gatti et Salomo en tant que chamanes sont les « maîtres de cérémonie ». Ils se maquillent en jaune avec des marques rouges, se décorent de parurent traditionnelles et de plantes diverses. Ils commencent les chants et les rituels.


Ce genre de cérémonie est courant chez les Mentawai et ne nécessite pas d'attention particulière de la part des autres. Tout le monde peut parler, chanter, jouer, rire, sans forcément faire attention aux deux chamanes immergés dans leurs prières incessantes.


Pendant ce temps les hommes fort s'attellent à la lourde tache de la capture de l'énorme cochon. Près d'une heure pour réussir à lui lier les pattes. Une fois capturé et incapable de bouger, Salomo continue ses incantations au-près de lui, concoctant des potions à base de plantes.


La cérémonie continue ainsi toute la journée, on tue le cochon, le découpe, le cuit. Quatre poulets sont également sacrifiés après avoir été présentés à tous le monde présent.
Nous observons tout cela avec attention tout en discutant avec les gens, rigolant, chantant... J'aide les femmes à la cuisine à la préparation de sagu et autre accompagnement du cochon.



Après manger (Gatti et Salomo n'interrompant leurs chants que pour avaler la viande), le soir tombés, les jeunes sortent les tambours pour en tendre la peau à la chaleur du feu.
Une fois près, ils s'installent par terre, 3 aux tambours et un qui frappe les contres temps d'une cuiller sur une bouteille en verre.
Les danses peuvent alors commencer. Gatti, Salomo et Teteu entrent en piste. Les danses chamanes traditionnelles Mentawai représentent des scènes de vie et principalement des animaux. Il y a un meneur qui chante a voix très aigüe et vibrante, les bras en suspens, des feuilles dans les mains, avec de très légers mouvements de jambes sans lever les pieds du sol.


Une fois le couplet de la chanson fini, ils martèlent le sol au rythme des tambours. Chants et martèlement se succèdent jusqu'à ce que tout devienne plus rapide et que les animaux représentés prennent de plus en plus forme. Ils sont tous les trois en symbioses et ne semblent n'être qu'un. Ils s'accroupissent tout en continuant de frapper le sol en rythme avec les genoux et en chantant puis se relève en sautant, s'attrapent les mains et se balancent en se retenant les uns aux autres. Les rythmes accélèrent, les pas aussi, les chants s'amplifient puis s'arrêtent. Ils ne se contrôlent plus, ils tombent, toujours frappant les rythmes. Plusieurs personnes se précipitent pour les soutenir et les empêcher de se faire mal. Ils sont en transe, parcourus de spasmes qui raidissent tous leurs muscles et poussent parfois quelques cris. Puis quand l'un d'eux reprend connaissance, il aide les autres à revenir à eux à l'aide d'une formule, la main sur leur front.
Ils reprennent leurs esprits, se relèvent, sourient et se repose un moment. Tout le monde continue de parler, de rire, tout est normal. Nous sommes abasourdis, bouches bées, époustouflés, ahuris. Jamais nous n'avions imaginé voir une chose pareille. Les autres rient en nous voyant aussi interloqués, pour eux, rien de plus normal!
Et les danses recommencent, Bajalamati se joint aux trois et il repartent tous encore plus fort, plus longtemps et plus violemment. Nous n'en revenons toujours pas.
Les danses qui suivent sont toujours du même ordre mais ne se termine pas à chaque fois par de la transe et s'arrêtent d'un même rythme avec la musique.



Tout le monde peut participer, adultes et enfants. Et c'est ainsi que toute la nuit, sans interruption aucune, nous avons dansé avec eux aux rythme des tambours. Et lorsque le soleil se lève et que les premiers chants des coq se font entendre, Gatti et Salomo font une petite ronde et chanson de clôture qui met fin à cette cérémonie enchantée.
Ceux qui dormaient se réveillent, les fleurs dans les cheveux un peu flétries. On balaie les plantes et feuilles décoratives tombées pendant les danses, et la vie reprend son court.
Une nouvelle journée commence, donnant l'impression de sortir d'un long rêve. Nous rentrons à la maison pour dormir, les yeux pleins d'étincelles et les rythmes des tambours raisonnant encore dans nos esprits.

Le dernier jour après une bonne soirée de départ,




nous avons remballé nos affaires et avons fait nos adieux à Lili, les femmes, les enfants et la maison. La marche dans la boue jusqu'au bateau est ralentie par la vue diminuée par les larmes qui coulent à flot. Heureusement, Tuka, Gatti, Teteu, Kakui, Min et Julius (les deux profs) nous accompagnent jusqu'à Siberut. Pas de pongpong cette fois mais un bateau plus grand pouvant nous contenir sans problème tous les 8 et tous les sacs.




A Siberut nous passons deux nuit avec eux dans une maison d'accueil ouverte aux Mentawai et profitons des derniers instant ensemble.


Les adieux ont été déchirants lorsque nous avons embarqué pour une nuit de bateau en direction de Padang. Les larmes coulent du bateau et du quai lorsque nous nous regardons nous éloigner les uns des autres et longtemps après, dans notre cabine nous continuons silencieusement de pleurer la fin de cette merveilleuse aventure.



Nous avons vécu à Buttui exactement tout ce que nous recherchions en partant faire ce voyage. Nous sommes revenus à l'essentiel des choses et avons pu nous sentir en famille avec des gens formidables avec qui nous avons eu de vrai et profonds liens.

C'est ainsi que se termine ce compte rendu de notre aventure. Il est peut-être bien long mais nous avons tenté de retracer au maximum nos impression et de vous décrire le mieux possible ce que nous avons vécu afin de partager avec vous ces moments magiques.

Nous remercions de tout coeur Tuka, Gatti, Teteu, Mamanja, Basasali, Kakui, Lili, Min, Julius, Pinjam, Rubei, Sali, Lamat, Reni, Sigi et Meriatti pour nous avoir accueilli et pour avoir rendu notre séjour aussi merveilleux.

Un merci aussi tout particulier à Agus et Martin Bastide sans qui nous n'aurions jamais pu arriver là-bas.

Une chose est sûre: NOUS REVIENDRONS!





Ayant fait un peu connaissance par ce blog avec la famille de Buttui, si vous le souhaitez, il est possible de les aider à se procurer un peu plus de ressources qui leur permettraient de terminer à temps la construction de leur nouvelle maison ou tout simplement de s'acheter un peu de pétrole pour les machines telles que broyeuse tronçonneuse et bateau qui leur servent quotidiennement et rendent leur travail moins difficile. Pour cela, contactez-nous directement sur notre mail:

timanaroussel@yahoo.fr

8 commentaires:

  1. Mes chéris
    Entre 2 spectacles avec les Tchèques, je me suis plongée au coeur de votre aventure. Mon émotion est grande en vous lisant, en m'émerveillant devant vos photos. Je suis tellement heureuse pour vous que vous ayez eu cette chance de vivre de telles rencontres, de telles expériences de vie.
    ça me fait aussi tellement plaisir de voir vos mines réjouies enrichies par tant de merveilles.
    Je vous fais mille bises.
    Mams

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  2. bonjour,
    après vous avoir entendu au téléphone, nous avons découvert un monde nouveau avec lequel vous avez communié.
    Nous pouvons vivre et partager avec vous ces aspects insolites de la vie de certains peuples.
    MERCI ET A BIENTÔT

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  3. Eh bien !
    Un énorme merci pour ce récit digne des écrits ethnologiques de terrain : Les "frères Grimm bis" se doublent maintenant d'une Alexandra David Neel et d'un René Caillé.
    Les pieds dans la boue, le cœur dans les rires et les fêtes et la tête bien suspendue au(-dessus de tout cela, vous devez vous sentir bien.
    Alors je vous salue comme là-bas (mais maladroitement) :
    sampai ketemu lagi chers Kitdi et Bilijo

    PS :
    1) Philéas a-t-il supporté dignement l'humidité ?

    2) Kitdi et Bilijo sont dans la jungle. Bilijo et Kitdi préparent des chenilles rôties à la broche : qui est-ce qui va chercher le sucre pour en faire une confiserie ?...

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  4. Nous avons été passionnés par le récit et les photos de vos aventures à Buttui . C'est vraiment extraordinaire . Vous avez vécu sur une autre planète avec un peuple si accueillant et hors des sentiers battus .
    Vous allez maintenant reprendre un peu votre souffle en préparant d'autres aventures .
    Encore bravo et 1000 bises de nous deux .
    P.P Jacques et M.M Maguy

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  5. Salut a vous....Très joli récit de votre périple à Buttui. Ca m'a fait plaisir de voir des photos de toute la famille et de constater à quel point les enfants ont changés. Je suis content que vous ayez pu vivre cette expérience au sein de cette famille des plus chaleureuse avec qui vous semblez avoir tissé des liens forts.
    Néanmoins, si je peux me permettre, je voudrais quand même aller un peu à l'encontre de la vision que vous donnez de Siberut. premièrement, il est important de savoir que le mode de vie que vous décrivez n'est plus majoritaire sur l'île, et ce depuis fort longtemps. Les Mentawais ne sont pas que des chamanes vivant en "harmonie" avec la forêt équatoriale. Ils sont aussi étudiant en droit, économie, docteur en anthropologie, travailleurs migrants dans les grandes villes indonésiennes etc...Malheureusement, la plupart des récit disponibles échouent à rendre compte de cette réalité: Agus, étudiant à padang, est aussi Mentawai que Tuka, chamane à Buttui. Aussi, et c'est là tout le paradoxe, les personnes que vous décrivez à Buttui font partie des habitants de Siberut les moins isolés: en effet, ils sont visités par des touristes depuis 20 ans, ils ont déjà participé à deux émissions de téléréalité et Tuka est même allé à Padang et Salomo a passé deux semaines à TOKYO!. Dans d'autres coins de l'île ou les gens ne vivent plus de manière aussi "traditionnelle", les gens ont une vie bien moins cosmopolite puisque, dépourvus des atours du bon Mentawai (a savoir le kabid, les dents taillées en pointe et les tatouages) ils excitent moins notre imaginaire occidental en soif d'exotisme. Le clan Salakirat dont font partie Tuka, Gati, Teteu, Lili et Kakui ont beau vivre loin des grandes villes et des grands réseau d'échange, ils ont eu l'occasion d'échanger avec des gens venus des quatre coins du monde et ce depuis leur plus jeune age.Vous pouvez allez dans des coins d'Indonésie ou les gens vivent en milieu urbanisé mais vous regarderont comme un extraterrestre pour la simple et bonne raison qu'ils ne voient presque jamais d'étrangers...Lorsque vous dites "Ils font partie, comme tous les habitants de l'île, de la tribu des Mentawai. Peuple retiré de toute civilisation, vivant paisiblement en harmonie avec la nature" vous contribuez à reproduire cette vision d'un peuple sans histoire, égal à lui même depuis la nuit de temps, ce mythe du bon sauvage cher à Rousseaux....mais s'ils étaient retirés de toute civilisation (ce qui sous entend qu'eux même n'ont rien développer de tel), comment expliquer que des milliers de touristes vous ont précédés à Buttui et que la famille de Tuka possède une machine à Sagu, un deux moteurs pour bateau, deux tronçonneuses et même un téléphone portable (j'avoue que pour au moins trois des objets je suis responsable). Enfin, quoi qu'il en soit, je vous souhaite une très bonne continuation pour vos pérégrinations en souhaitant de tout coeur que votre projet aboutisse. Et si vous avez besoin d'aide pour la traduction de l'Indonésien au français (ou même du Mentawai au Français, n'hésitez pas à me demander, je vous aiderai avec plaisir)...Bon vents à vous et bravo pour votre beau projet


    Martin

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  6. Merci Martin pour toutes ces precisions. elles completent avec plus de detail notre texte qui se voulait tout d'abord un recit de notre experience plutot qu'une etude anthropologique (ou ethnologique), ce qu'il est difficile de faire en 1 mois.
    Nous avons bien sur ete temoins de la venue de touristes et savons qu'ils sont plus proche de la civilisation que ce que nous decrivons.
    Mais dans cette description nous avons tente de montre notre ressenti et par rapport aux peuples, familles ou gens que nous avons pu rencontre au long de ce voyage, nous avons percu chez les Mentawai un mode de vie tres paisible, harmonieux et sain (si l'on fait abstracion des cigarettes!).
    Dans tous les cas, un mois n'est largement pas suffisant pour comprendre ne serait-ce qu'un petit peu, un peuple, quel qu'il soit.

    Notre but etait de simplement vivre avec eux sans les etudier, juste en partageant leur quotidien.

    Merci pour ces precisions qui completent notre texte comportant des lacunes a ce niveau!

    Bonne continuation et nous ferons peut etre appel a toi a notre retour en france pour la traduction!

    Timana

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  7. Ouf! Suis contente de retrouver des commentaires qui échangent les points de vue... Ai été ravie de ce récit de vécu qui traduit bien, très très bien même, une première approche, bien sûr, forcément incomplète puisque tel n'était pas le but.

    C'est formidable d'avoir pris le temps d'écrire autant et de glisser tant de photos! Merci à tous le sdeux... Et bonnes suites

    Gene

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  8. WAOUH !!!

    Tout est dit ;)

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